Assurance chômage, sécuriser la démission pour reconversion professionnelle.

Assurance chômage, sécuriser la démission pour reconversion professionnelle.

La promesse de campagne d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2017 d’ouvrir les droits à l’assurance chômage aux salariés qui démissionnent pour faire évoluer leur vie professionnelle a été tenue. Le dispositif exige d’abord de vérifier le caractère réel et sérieux du projet de reconversion par l’intervention de deux intervenants (Conseil en Evolution Professionnelle -CEP- et Commission Paritaire Interprofessionnelle Régionale -CPIR-) (I).

Mais l’ouverture des droits à indemnisation suppose une durée d’affiliation spécifique à l’assurance chômage, validée (ou pas), par POLE EMPLOI, en fin du parcours, ce qui génère une grande insécurité juridique pour le salarié. Le rapport du Médiateur de POLE EMPLOI (mai 2021) souligne que « Bon nombre de candidats à ce nouveau droit, découvrent à la fin d’un parcours fastidieux, qu’ils ne sont pas éligibles au dispositif, alors qu’ils ont déjà démissionné ». (II)

Une évolution des textes, en remettant POLE EMPLOI plus avant dans le parcours, pourrait sécuriser ce dispositif pour le demandeur (III).

I Les règles actuelles de la démission pour reconversion professionnelle

« Nous ouvrirons les droits à l’assurance-chômage aux salariés qui démissionnent » et le site de campagne du candidat Macron détaillait : « Tous les cinq ans, chacun y aura droit, s’il choisit de démissionner pour changer d’activité ou développer son propre projet professionnel. Ceci incitera les entreprises à investir pour améliorer la qualité de vie au travail afin de conserver leurs salariés, dont nous renforçons ainsi le pouvoir de négociation. »[1]

Cet engagement a été concrétisé dans la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, puis codifié dans le code du travail.

Le demandeur d’emploi doit avant de démissionner :

- se faire conseiller (gracieusement) par des opérateurs en formation professionnelle (agréés par l’autorité administrative) et élaborer avec ce CEP un projet de reconversion professionnelle ;

- faire attester du caractère réel et sérieux par la CPIR.

Une fois ces éléments acquis, le demandeur d’emploi peut alors démissionner et demander à POLE EMPLOI de lui ouvrir les droits en justifiant d’une durée d’affiliation d’au moins 1300 jours travaillés dans les 5 dernières années.

Ces principes sont détaillés dans les articles du code du travail et le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019.

L’article L5422-1 II dispose « ont également droit à l’allocation d’assurance les travailleurs dont la privation d’emploi volontaire résulte d’une démission au sens de l’article L. 1237-1(…) qui 1° Satisfont à des conditions d’activité antérieure spécifiques ; 2° Poursuivent un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou un projet de création ou de reprise d’une entreprise. Ce projet doit présenter un caractère réel et sérieux attesté par la commission paritaire interprofessionnelle régionale mentionnée à l’article L. 6323-17-6 [du code du travail].

La durée d’affiliation spécifique

Le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage et son annexe RÈGLEMENT D’ASSURANCE CHÔMAGE (Articles 1 à 70), précise en son article 4 g) la « durée d’affiliation spécifique équivalant à au moins 1 300 jours travaillés au cours des soixante mois [5 ans] qui précèdent la fin du contrat de travail (terme du préavis) (..) ».

Le conseil en évolution professionnelle

L’article L5422-1-1 du code du travail dispose que « Pour bénéficier de l’allocation d’assurance au titre du II de l’article L. 5422-1, le travailleur salarié demande, préalablement à sa démission, un conseil en évolution professionnelle auprès des institutions, organismes ou opérateurs mentionnés à l’article L. 6111-6 du code du travail, à l’exception de Pôle emploi et des organismes mentionnés à l’article L. 5314-1[missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes], dans les conditions prévues à l’article L. 6111-6. Le cas échéant, l’institution, l’organisme ou l’opérateur en charge du conseil en évolution professionnelle informe le travailleur salarié des droits qu’il pourrait faire valoir pour mettre en œuvre son projet dans le cadre de son contrat de travail.

Le travailleur salarié établit avec le concours de l’institution, de l’organisme ou de l’opérateur le projet de reconversion professionnelle mentionné au 2° du II de l’article L. 5422-1. »

La validation du projet de reconversion professionnelle

Le caractère réel et sérieux projet de reconversion professionnelle est ensuite attesté par la commission paritaire interprofessionnelle régionale mentionnée à l’article L. 6323-17-6 du code du travail (Une commission paritaire interprofessionnelle est agréée dans chaque région par l’autorité administrative (…) Cette commission atteste également du caractère réel et sérieux du projet mentionné au 2° du II de l’article L. 5422-1.).

II L’insécurité juridique du demandeur d’emploi démissionnaire

Lors du débat au sein de la commission sociale préparant la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la députée de la quatrième circonscription d’Indre-et-Loire Fabienne Colboc avait présenté un amendement AS1092 à l’article 27 « Prévention des démissions insuffisamment préparées et dispositif de contrôle spécifique aux démissionnaires », visant « à garantir que le travailleur salarié qui choisit de démissionner bénéficiera d’une information la plus exhaustive possible sur ses droits et obligations de futur demandeur d’emploi, ce afin d’éviter les situations d’incertitude et d’incompréhension, notamment sur les conditions d’ouverture de droits à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Comme Pôle Emploi n’interviendra pas pour délivrer de conseil en évolution professionnelle ni aiguiller le salarié qui souhaite démissionner, il est essentiel de s’assurer que ce dernier prendra sa décision en ayant connaissance des droits et obligations liés au statut de demandeur d’emploi. »

En effet, les textes précités, excluent expressément POLE EMPLOI de tout examen préalable, POLE EMPLOI intervenant in fine pour ouvrir les droits ou… les refuser en constatant que le demandeur ne remplit pas la durée d’affiliation spécifique.

M. Aurélien Taché, rapporteur, a demandé à la députée de retirer son amendement au motif que les opérateurs en conseils en évolution professionnelle « rappelleront au salarié ces droits » et que « Pôle Emploi peut aussi délivrer ce type d’informations ».

L’amendement avait donc été retiré.[2]

Or en pratique, le demandeur d’emploi démissionnaire, disposant d’un projet réel et sérieux validé par la commission paritaire interprofessionnelle, peut se voir refuser l’ouverture des droits après sa démission.

Le Médiateur National de POLE EMPLOI dans son rapport pour l’année 2020, indique page 38 et 39, s’agissant des démissions avec projet de reconversion professionnelle (PRP) que « Ce nouveau droit, est entré en vigueur en novembre 2019. Sa mise en œuvre pratique est cependant éloignée de la simplicité de la promesse initiale, car elle s’assortit de conditions préalables assez complexes (…) Bon nombre de candidats à ce nouveau droit, découvrent à la fin d’un parcours fastidieux, qu’ils ne sont pas éligibles au dispositif, alors qu’ils ont déjà démissionné.

Le Médiateur préconise une réflexion. « L’esprit de ce nouveau droit semble être dévoyé par une procédure trop complexe. Les candidats à la reconversion professionnelle devraient avoir les moyens de prendre leurs décisions de manière éclairée, en les informant, avant qu’ils démissionnent de leur emploi, des conditions de prise en charge financière de leur projet. Il est urgent de mener une réflexion sur l’articulation des interventions des différents acteurs qui gèrent ce dispositif. »  [3]

POLE EMPLOI a récemment mis en œuvre un site spécifique[4] pour proposer au postulant une aide lui permettant d’estimer s’il remplit la condition de durée spécifique d’affiliation mais en précisant bien que « Attention, cette estimation n’a aucun caractère contractuel. » En effet ce site, qui intègre une calculette bien détaillée de la durée d’affiliation, est uniquement déclaratif, sans obligation de justifier par des pièces chaque entrée de données, ce qui exclut toute validité juridique en l’absence de possibilité de vérification par POLE EMPLOI.

La durée d’affiliation est une notion complexe, qui va dépendre de l’âge, du type d’emploi (permanent, précaire), de périodes de suspension du contrat de travail (maladie), pas nécessairement maitrisée par le salarié ou même les agents de terrain en agence.

Il faut aussi noter des cas spécifiques mentionnés par le Médiateur dans son rapport, « Les salariés sous contrat de droit privé qui souhaitent démissionner dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle ne sont pas éligibles au dispositif dès lors que leur employeur relève du secteur public, c’est-à-dire en auto­ assurance pour l’indemnisation du chômage, y compris en cas convention de gestion avec Pôle emploi. »

Cette dernière exclusion n’a rien d’évident à la lecture des textes et repose sur une analyse contestable de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) qui considère que l’allocation de retour à l’Emploi (ARE) visée à l’article L5422-1 du code du travail (droit commun employeurs privés) est distincte de l’allocation d’assurance visée à l’article L5424-1 du même code (employeurs publics ou assimilés définis par l’article L5424-1).

Cette exclusion dont la base légale est fragile doit être contestée judiciairement, les deux allocations suivant les mêmes règles de conditions d’ouverture de droits, de calculs de prestations, de contrôles et sanctions ; ainsi de nombreuses administrations ou assimilées, ont, comme l’Education Nationale, signé une convention de gestion avec POLE EMPLOI pour le suivi administratif.

III Sécuriser le dispositif de démission pour reconversion professionnelle

Le refus de POLE EMPLOI de considérer la démission pour reconversion professionnelle comme légitime, pour défaut dans les conditions de durée d’affiliation est alors catastrophique pour la personne en reconversion, qui se retrouve sans ressource dans son projet de reconversion, alors même que les allocations de retour à l’emploi figuraient dans le projet validé réel et sérieux.

Le démissionnaire a un recours judiciaire limité.

Il est illusoire de rechercher POLE EMPLOI pour défaut de conseil, POLE EMPLOI étant, selon les textes mêmes du dispositif exclu de la phase conseil. Il reste possible, sans garantie, de mettre en cause le devoir de conseil de l’opérateur en conseil en évolution professionnelle, qui, selon l’article L5422-1-1 du code du travail professionnelle « informe le travailleur salarié des droits qu’il pourrait faire valoir pour mettre en œuvre son projet dans le cadre de son contrat de travail » ; ou se référer aux travaux préparatoires de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 créant ce droit nouveau et à l’intention du législateur exprimé par le rapporteur, M. Aurélien Taché : « les opérateurs en conseils en évolution professionnelle rappelleront au salarié ces droits ».

La sécurisation du dispositif passe par une modification de l’article L5422-1-1 du code du travail en rendant préalable et opposable à POLE EMPLOI l’examen des droits réalisé par le site de POLE EMPLOI[5] ; pour ce faire, le salarié devra s’inscrire à POLE EMPLOI de façon à créer son compte dans l’espace POLE EMPLOI. Cette inscription à POLE EMPLOI est toujours possible pour un salarié en activité, qui indique être ainsi à la recherche d’un autre emploi et ne suppose aucune demande d’indemnisation. POLE EMPLOI devra adapter son dispositif de façon à pouvoir recueillir et examiner les pièces justifiant des activités antérieures. Le cas échéant, un refus de POLE EMPLOI sera contestable dans les conditions déjà existantes (recours préalable, médiation, judiciaire).

Proposition de correction de l’article L5422-1-1 du code du travail (souligné)

Pour bénéficier de l’allocation d’assurance au titre du II de l’article L. 5422-1, le travailleur salarié s’inscrit à POLE EMPLOI préalablement à sa démission, dépose une demande de validation par POLE EMPLOI qu’il satisfait aux conditions d’activité antérieure spécifiques visées à l’article L5422-1 II 1° ; la notification de POLE EMPLOI de validation ou de refus est remise au salarié sous quinzaine ; le salarié présente la notification de POLE EMPLOI au conseil en évolution professionnelle (…).

Et s’agissant du sort spécifique des salariés du public (salariés visés à l’article L5424-1), il pourrait simplement être fait référence au dispositif de démission pour reconversion professionnelle (L5422-1 II) dans le premier alinéa de l’article L5424-1

Proposition de correction de l’article L5424-1 du code du travail (souligné)

« Ont droit à une allocation d’assurance, lorsque leur privation d’emploi est involontaire ou assimilée à une privation involontaire ou en cas de cessation d’un commun accord de leur relation de travail avec leur employeur, et lorsqu’ils satisfont à des conditions d’âge et d’activité antérieure, dans les conditions prévues aux articles L. 5422-2, L. 5422-3 et L5422-1 II » (…)



[1] https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/emploi-ch%C3%B4mage-securites-professionnelles

[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b1019-tiii_rapport-fond#_Toc256000059

[3] https://www.pole-emploi.org/files/live/sites/peorg/files/documents/Publications/Rapport%202020%20du%20M%C3%A9diateur%20national%20de%20P%C3%B4le%20emploi.pdf

[4] https://demission-reconversion.gouv.fr/

[5] https://demission-reconversion.gouv.fr/

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