Les travailleurs frontaliers et l’assurance chômage

Les travailleurs frontaliers et l’assurance chômage

Le régime juridique de l’assurance chômage du travailleur frontalier est régi par deux règlements européens et les règles de l’assurance chômage en France ; (I). Certaines situations, sans rentrer strictement dans la définition du travailleur frontalier y sont assimilées (II). Les travailleurs frontaliers qui résident en France sont estimés à 500.000 personnes et bénéficient de l’assurance chômage dans des conditions financières qui génèrent depuis 2011 un surcoût estimé par l’Unedic[i], dans une étude de décembre 2021, à 6,4 Md€ (III).

I Le régime juridique de l’assurance chômage du travailleur frontalier

Les droits et obligations du travailleur frontalier ont comme fondement juridique  :

-les Règlements de coordination de sécurité sociale (CE) n° 883/2004 et 987/2009 [le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Règlement (CE) n°987/2009 du Parlement Européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, entrés en vigueur le 1er mai 2010].

- le Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage (dont l’ANNEXE IX qui envisage des cas particuliers ne relevant pas des règlements précités).

Le terme «travailleur frontalier» désigne toute personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre et qui réside dans un autre État membre où elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine (article 1 f du Règlement (CE) n° 883/2004).

Le traitement spécifique des travailleurs frontaliers ne concerne que le chômage complet.

En cas de chômage partiel, le travailleur frontalier reste dans le cadre de l’assurance chômage du pays d’emploi.

L’article 65 1. du Règlement (CE) n° 883/2004 [Chômeurs qui résidaient dans un État membre autre que l’État compétent] dispose que « La personne en chômage partiel ou intermittent qui, au cours de sa dernière activité salariée ou non salariée, résidait dans un État membre autre que l’État membre compétent se met à la disposition de son employeur ou des services de l’emploi de l’État membre compétent. Elle bénéficie des prestations selon la législation de l’État membre compétent, comme si elle résidait dans cet État membre. Ces prestations sont servies par l’institution de l’État membre compétent. »

Dans le cas de télétravail, le frontalier est considéré comme exerçant son activité dans deux Etats membres (chez lui, dans son Etat de résidence et dans l’Etat d’emploi) ; la règle d’affiliation (art. 13, § 1, a), rglt. 883/2004) désigne comme législation applicable celle de l’État membre de résidence si le salarié exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre [au moins 25 % du temps de travail ou de la rémunération].

L’article 13 du Règlement (CE) n° 883/2004 [Exercice d’activités dans deux ou plusieurs États membres] dispose que « 1. La personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise : a) à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre; »

Le télétravail a pris une grande importance avec la crise sanitaire, les pays prenant des mesures restrictives de déplacement. La France et les pays frontaliers ont convenu que ces heures de télétravail effectuées dans l’État de résidence seraient, exceptionnellement, considérées comme du travail effectué sur le lieu de travail de l’État d’emploi. La Commission administrative de l’Union européenne pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a approuvé le 14 juin 2022, ces mesures (sous forme non contraignante).

La flexibilité donnée aux télétravailleurs frontaliers a été prolongée jusqu’au 31.12.2022. Pour la Suisse[i], pour l’Allemagne[ii] , pour la Belgique[iii] les références de l’accord amiable figurent en notes de fin de l’article.

Les modalités de l’indemnisation du travailleur salarié

Le salarié frontalier qui réside en France doit s’inscrire à POLE EMPLOI qui va instruire son dossier, verser l’indemnisation, contrôler le respect des obligations de l’allocataire et lui apporter les soutiens à sa recherche d’emploi. Aucune période travail en France n’est exigée, à la différence du salarié revenant en France après une période de travail dans un autre Etat membre ou assimilé.

Le salarié frontalier peut, à titre complémentaire et sans effet sur son indemnisation, se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’Etat membre où il a exercé sa dernière activité (Règlement (CE) n°883/2004, art. 65 2.). Cette disposition facilite le retour à l’emploi en permettant l’accès du demandeur d’emploi aux services de placement de l’institution de l’Etat d’emploi.

Le travailleur frontalier en chômage complet bénéficie des prestations de chômage en application de la législation de son Etat de résidence comme s’il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence (Règlement (CE) n°883/2004, art. 65 5.a)).

En conséquence, les travailleurs frontaliers bénéficient de l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) dans les même conditions prévues par le Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage, le salaire de référence étant celui perçu dans l’Etat d’emploi. A la différence du salarié qui résidait et travaillait dans un Etat membre avant de revenir en France suite à la perte de son emploi, il n’a pas à justifier d’une période de travail en France pour être éligible à l’indemnisation.

La conversion du salaire perçu dans l’Etat d’emploi, pour les Etats membres de l’UE n’ayant pas adopté l’euro est faite sur la base du taux de change publié par la Banque centrale européenne (Règlement. (CE) n°987/2009, art. 90 – Décision H3 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 15 octobre 2009) applicable au cours du mois pendant lequel le dernier salaire a été perçu.

L’allocataire du droit frontalier ne bénéficie pas du maintien des droits en cas de transfert de résidence dans un autre Etat membre : l’article 64 du règlement (CE) n°883/2004 ne s’applique pas aux travailleurs frontaliers en chômage complet visés à l’article 65 2. du règlement qui, après avoir bénéficié des prestations de chômage dans l’Etat de résidence, fixent leur domicile dans l’Etat de leur dernier emploi.

Il en résulte que les travailleurs frontaliers qui transfèrent leur résidence dans l’Etat de dernier emploi ne peuvent bénéficier du maintien de leurs allocations. Dans cette situation, l’allocataire pourra cependant demander à bénéficier des allocations versées au titre de la législation de l’Etat d’emploi (CJCE 07/03/85 Aff. 145/84[iv]).

Le maintien des allocations est toutefois possible lorsque l’allocataire transfère sa résidence dans un Etat membre autre que celui où il a travaillé en dernier lieu. Le demandeur d’emploi indemnisé dans un Etat membre de l’UE se rendant dans un autre Etat membre pour y rechercher un emploi peut, pendant une période maximale de 3 mois, conserver le droit à ses allocations dans les conditions et limites fixées par l’article 64 du règlement (CE) n°883/2004.

 

II Les cas particulier du salarié assimilé au frontalier

Deux situations sont à envisager : l’extension de l’application des règlements européens, qui résulte d’une décision de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS) et le cas visé dans l’ANNEXE IX du Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage.

II-1 La Décision U2 du 12 juin 2009[i] de la CACSSS

Il s’agit d’un salarié qui réside dans un Etat membre autre que l’Etat d’emploi mais qui ne peut se prévaloir de la qualité de travailleur frontalier au sens des règlements précités.

La Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, a étendu la notion de frontalier aux  :

• personnes exerçant leur activité à bord d’un navire en mer battant pavillon d’un Etat membre visées à l’article 11 4. du règlement (CE) n°883/2004 ;

• personnes qui exercent normalement leurs activités sur le territoire de deux Etats membres ou plus visées à l’article 13 dudit règlement ;

• aux personnes auxquelles s’applique un accord dérogatoire visé à l’article 16 1. du règlement précité qui résidaient, au cours de leur dernière activité professionnelle, dans un Etat membre autre que l’Etat compétent.

Dans ce cas, ce salarié dispose d’un droit d’option en matière d’indemnisation. Il peut bénéficier des prestations de chômage servies par l’institution de l’Etat de résidence ou par l’institution de l’Etat où il a travaillé en dernier lieu (Règlement. (CE) n°883/2004, art. 65 5. b) ).

II-2 L’ANNEXE IX du Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019

Le cas particulier des frontaliers qui ne relèvent pas des règlements européens

L’ANNEXE IX du Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage envisage le cas particulier des salariés dont la résidence est située en France où ils retournent en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine tout en exerçant une activité salariée dans un Etat limitrophe autre qu’un Etat membre de l’Union européenne, qu’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) ou de la Confédération suisse et dont l’employeur ne remplit aucune des conditions prévues au règlement d’assurance chômage ou à ses annexes pour les affilier.

Cela vise notamment le cas des salariés travaillant au Royaume Uni et qui résident en France.

Dans le cadre du BREXIT, l’Union Européenne et le Royaume Uni ont signé un accord de commerce et de coopération, le 30 décembre 2020[ii] qui comprend un protocole sur la coordination de la sécurité sociale[iii], dont les allocations de chômage (article SSC.3 f), qui s’applique à compter du 1er janvier 2021.

Cet accord prévoit notamment que les périodes de travail accomplies dans un des deux États (France ou Royaume-Uni) pourront être prises en compte pour le calcul des droits à l’assurance chômage dans l’autre État, sur la base du principe de la « totalisation » (article SSC.7) :

« Totalisation des périodes

À moins que le présent protocole n’en dispose autrement, l’institution compétente d’un État tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique, lorsque sa législation subordonne à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence :

a) l’acquisition, le maintien, la durée ou le recouvrement du droit aux prestations;

b) l’admission au bénéfice d’une législation; ou

c) l’accès à l’assurance obligatoire, facultative continuée ou volontaire, ou la dispense de ladite assurance. »

Cependant, pour les nouvelles activités de frontalier postérieures au 1er janvier 2021, l’application des règles spécifiques pour ces travailleurs frontaliers européens a pris fin.

Mais pour les activités débutées avant le 1er janvier 2021 et poursuivies de manière ininterrompue, au moment de l’inscription auprès de Pôle emploi, il est possible de continuer de bénéficier de ce statut de travailleur frontalier[iv].

III Le débat sur coût de l’indemnisation du chômage du travail frontalier

L’Unedic indique que 500.000 travailleurs frontaliers résident en France et que 80 000 allocataires sont indemnisés avec un droit frontalier : 60 % ont perdu un contrat en Suisse [assimilé à un Etat membre], 21 % au Luxembourg, 10 % en Allemagne, 9 % en Belgique et marginalement en Espagne ou en Italie.

Les frontaliers suisses habitent pour la plupart en Haute-Savoie (74), dans le Haut-Rhin (68) et dans une moindre mesure dans le Doubs (25) et dans l’Ain (01). Les frontaliers luxembourgeois habitent en Meurthe-et-Moselle (54) et en Moselle (57), ce dernier département accueille aussi des frontaliers allemands présents également dans le Bas-Rhin (67). Les frontaliers belges résident quant à eux dans le Nord (59), les Ardennes (08) et également en Meurthe-et-Moselle (54).

Le principe est que le travailleur frontalier est indemnisé en France par POLE EMPLOI, sur la base des salaires perçus dans le pays d’emploi, où il a cotisé.

Cela crée un surcoût mécanique comme l’indique l’Unedic dans son étude : « Depuis le 1er mai 2010, en application du règlement (CE) n°883/2004, l’État frontalier [d’emploi] rembourse 3 mois d’indemnisation perçues par l’allocataire frontalier à l’État de résidence. Cette durée de remboursement peut être étendue à 5 mois lorsque le frontalier a travaillé plus de 12 mois dans l’État frontalier [d’emploi] au cours des 24 derniers mois. Le Luxembourg bénéficie d’une dérogation et reste à 3 mois de remboursement quelle que soit la durée de travail. »

Comme la durée d’indemnisation des allocataires frontaliers en France dépasse les 3 ou 5 mois maximum remboursés par le pays d’emploi, il en résulte chaque année un surcoût pour l’Unedic. « A fin 2020, les dépenses cumulées liées aux frontaliers depuis 2011 atteignent 8 Md€, l’ensemble des demandes de remboursements cumulées sur cette même période atteint 1,6 Md€ portant ainsi le solde global sur cette période à 6,4 Md€ pour les quatre principaux pays sur 54,6 Md€ d’endettement global fin 2020. »

Un projet de révision de la règlementation de l’Union Européenne relative à la coordination de la sécurité sociale est en cours. Mais est-ce bien la bonne démarche ?

Le déficit souligné par l’Unedic s’explique simplement par le constat que les frontaliers travaillent pour l’essentiel en en Suisse (72% du déficit selon l’étude de l’Unedic), pays très attractif pour des salariés français (salaires plus élevés dans le pays d’emploi, dépenses de vie courante plus faibles dans le pays de résidence).

Comme c’est l’Etat français qui a ratifié les règlements et édicté les règles d’indemnisation, l’Unedic serait fondé à demander la compensation du déficit par une subvention  budgétaire.

Ou alors, l’Etat français pourrait corriger les règles d’indemnisation pour les frontaliers, ce qui ne serait pas discriminatoire, ceux-ci étant dans une situation spécifique, percevant des allocations financés par les cotisations prélevées en France sur des entreprises dont ils ne sont pas salariés, alors qu’ils cotisent dans le pays d’emploi dans le cadre de l’assurance chômage locale.

Par exemple, comme proposé par Philippe Askenazy, économiste, dans une tribune dans Le Monde du 9 novembre 2022, il serait possible de modifier les règles de conversion monétaire en passant d’une conversion des salaires perçus en Suisse au taux de change de marché à une conversion parité de pouvoir d’achat : le chômeur ne consomme plus qu’en France et n’a plus de déplacements transfrontaliers. Dans le cas de la Suisse, les prestations versées aux frontaliers baisseraient de l’ordre de 40 %, soit environ 200 millions d’euros de moins déboursés par le régime français.

 

Comments are closed.